vendredi 24 mars 2017

Par la fenêtre

Chère Laurence,

C'était un jeudi après-midi, il n'y a pas longtemps, j'étais au travail et j'ai regardé par la fenêtre. Dehors il faisait beau, l'arbre en face de mon bureau pavanait ses longues branches nues, la lumière chaleureuse le faisant se découper avec précision sur fond de ciel bleu et tout cela semblait comme un avant-goût de printemps.

Dans cet instant, à regarder par le fenêtre, je me suis soudain sentie frappée par une envie d'extérieur. J'ai eu envie de sortir, de faire des choses, de voir des gens. Comme j'étais coincée au travail, j'ai commandé un livre de jardinage en douce, comme une promesse faite à moi-même. Du jardinage ! Moi qui ai toujours été convaincue que je n'étais bonne qu'à tuer les plantes vertes ! Mais dans cet instant-là je me suis sentie pleine d'optimisme et de projets et je me suis dit que ce serait une bonne idée d'essayer quelque chose de simple, un petit plan de basilic ou des fleurs sans chichis sur mon balcon.

Ma commande faite je me suis de nouveau tournée vers cette fenêtre magnétique et c'est là que je m'en suis aperçue. Je me sentais comme moi-même. Tout simplement. Mais ce qui m'a choquée c'est de m'apercevoir que ça faisait bien longtemps que ça ne m'était pas arrivé.

C'est tellement étrange comme sensation. Jusque-là, j'étais incapable de voir. Mais dans cet instant-là c'est comme si le brouillard s'était levé d'un coup et que de nouveau le soleil éclairait ma route. J'avais oublié ce que c'était d'y voir clair - je ne m'étais pas aperçue de la densité des nuages, de l'opacité du monde, je m'y étais résignée sans me souvenir que ça n'avait pas toujours été ainsi. Qu'il avait été un temps où je pouvais tendre le bras devant mes yeux sans que ma main ne disparaisse dans l'immensité cotonneuse. Où je ne me sentais pas à la fois suffoquée par le monde et isolée de tout.

Mon brouillard, c'était comme une fatigue immense et insurmontable. Où je me demandais légitimement chaque matin comment j'allais faire pour survivre jusqu'au soir. Mon énergie étant minimale, je bloquais tout, je passais en mode "conservation d'énergie", je n'avais qu'une envie : rester chez moi et ne rien faire. Dormir. Essayer désespérément de recharger mes batteries à plat.

Tout, absolument tout me semblait un danger mortel, une atteinte a mes niveaux d'énergie, le potentiel coup fatal qui me laisserait épuisée pour toujours. Tout semblait hors de mon contrôle. J'étais désespérée.

Ainsi épuisée, j'étais incapable de faire des projets. D'avoir envie de faire des choses. D'avoir envie de voir des gens. Alors cette fenêtre d'espoir et d'optimisme... C'était comme si le monde s'ouvrait devant moi de nouveau.

Depuis ce jeudi-là j'ai fait des choses dont je me sentais tout à fait incapable il y a un mois seulement : j'ai invité des amis à déjeuner chez nous. Je me suis rendue au travail avec enthousiasme. Je suis sortie courir dans la fraîcheur du matin. J'ai acheté des places de théâtre. J'ai planté des graines.

Les langues de brouillard restent nombreuses et inattendues. Je suis tout à fait terrifiée à l'idée de me perdre de nouveau. D'oublier qui je suis et ce que j'aime et ceux que j'aime. Mais peut-être que cet été j'aurais des tomates.


1 commentaire:

  1. Ah le retour du printemps ! Le retour du printemps nous sauvera toujours (mais il faut savoir s'occuper de ses niveaux d'énergie quand même, et parfois ne pas les surestimer...) Je t'embrasse bien fort, et espère voir de belles photos de tomates, cet été.

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