mercredi 17 janvier 2018

Le cauchemar immobilier dans toute sa splendeur

Ma chère Aurélie,
voilà un certain temps que nous ne nourrissons plus ce blog, attendant toutes deux que l'inspiration, où qu'un évènement, nous fasse y revenir.
M'y voilà.
Comme tu l'as deviné, je vis des temps troublés (si nous le voyons avec enthousiasme, des temps d'intense apprentissage).
Je dois déménager, pour d'impérieuses raisons, et le plus tôt serait le mieux.
Mais changer d'adresse dans les grandes métropoles modernes, est, tu le sais, une gageure sans cesse renouvelée, l'immobilier n'étant plus utilisé de nos jours pour abriter des êtres humains mais pour consolider des investissements financiers.
Dans ce cadre, tant que la location est bonne (grande ville, proche transport), tout cagibi est bon à rentabiliser. Le minimum légal en France, est de 8m carrés, et quoique l'on ne puisse qu'être scandalisé à la pensée d'un être humain ainsi enserré, on trouve bien des agences pour louer ou vendre des abris de ce type.
La contre-partie est la suivante : nous, locataires, sommes l'apport financier. Comme les boîtes de soupe on nous choisit. Il faut nous sélectionner employés le plus stablement possible (et obtenir toutes les preuves de notre employeur que nous le sommes : attestations signées, jeux de tampons, appels téléphoniques...), payés le mieux possible, quitte à nous faire des remarques sur l'état de cette paye tant attendue, et nous demander des justificatifs précis sur plusieurs années.
Cette situation, à l'origine, était liée à la peur parfois justifiée des propriétaires de ne plus être payés, de voir leurs biens dégradés, de se retrouver, car la législation française est protectrice à leur égard, avec des locataires impossibles à renvoyer en cas de défaut de payement.
Certes.
Mais l'immobilier est devenu un jeu financier comme un autre, et ce risque-là, même, est assurable : tu apprendras qu'avec l'assurance Garantie des Loyers Impayés, le propriétaire est protégé, et donc certain d'investir en toute sécurité. Cette heureuse procédure nécessite toutefois, comme tout contrat d'assurance, des conditions précises : l'employé en Contrat à Durée Déterminée (celui là si vanté par nos élites économiques) peut dormir dans sa voiture, il en est exclu. Le fonctionnaire, à la petite paye, soumis à l'obligation de ne candidater qu'aux loyers représentant un tiers de son salaire, sera cantonné aux fameux 8m carrés dont nous parlions plus haut (et la loi l'ayant prévu dans une optique égalisatrice, n'aura plus la possibilité de présenter des garants lui permettant pourtant de compenser cette déchéance personnelle dans laquelle on tient le service public). En revanche, pour les étudiants, seuls les garants feront foi, la loi s'assurant cette fois que les enfants de familles désheritées viennent partager le parking des employés en Contrat à Durée Déterminée.
Nous avons la chance à Paris, d'avoir le plus fort taux de création d'emplois de France, et un nombre de logements nettements insuffisants : l'Île-de-France est devenue la cité-dortoir nationale, et seuls les plus heureux d'entre nous auront leur tour à la loterie du logement. 
Conscients de leur chance, ils s'empressent d'y gravir les échelons, de rencontrer leur moitié (un apport financier supplémentaire!) et de décamper au plus vite en province, où le prix du mètre carré leur permettra d'envisager une extension de la structure familiale.
Je sais par le Guardian que c'est une situation que connaît Londres également : les travailleurs souffrant de mal-logement ou sans domicile y sont légion.
J'ai l'immense chance d'avoir pour barrière ce statut et cet emploi fixe qui sont les miens; sache cependant que chaque entretien avec un agent immobilier, chaque visite de réduit sale me fait mesurer à quel point pour cette ville, ma situation est médiocre. Cela me fait rougir de l'avouer, par égard pour la situation de tant d'autres habitants qui ont tout simplement cessé de chercher et se terrent dans l'abri que le hasard aura bien voulu leur donner, parfois très inconfortable, parfois très loin de leur lieu d'emploi, la spéculation rageuse de l'immobilier leur ôtant la possibilité d'être bien logé.
Dans sa configuration actuelle, Paris est une humiliation, la même qu'elle était à l'époque de Balzac, où il faut paraître et devenir, ou être brisé et partir. Au temps de Balzac, grisettes et petits employés occupaient les entresols et les mansardes. De nos jours, ils errent dans ses centres commerciaux, et vivent à 1h30 de RER.