mercredi 17 janvier 2018

Le cauchemar immobilier dans toute sa splendeur

Ma chère Aurélie,
voilà un certain temps que nous ne nourrissons plus ce blog, attendant toutes deux que l'inspiration, où qu'un évènement, nous fasse y revenir.
M'y voilà.
Comme tu l'as deviné, je vis des temps troublés (si nous le voyons avec enthousiasme, des temps d'intense apprentissage).
Je dois déménager, pour d'impérieuses raisons, et le plus tôt serait le mieux.
Mais changer d'adresse dans les grandes métropoles modernes, est, tu le sais, une gageure sans cesse renouvelée, l'immobilier n'étant plus utilisé de nos jours pour abriter des êtres humains mais pour consolider des investissements financiers.
Dans ce cadre, tant que la location est bonne (grande ville, proche transport), tout cagibi est bon à rentabiliser. Le minimum légal en France, est de 8m carrés, et quoique l'on ne puisse qu'être scandalisé à la pensée d'un être humain ainsi enserré, on trouve bien des agences pour louer ou vendre des abris de ce type.
La contre-partie est la suivante : nous, locataires, sommes l'apport financier. Comme les boîtes de soupe on nous choisit. Il faut nous sélectionner employés le plus stablement possible (et obtenir toutes les preuves de notre employeur que nous le sommes : attestations signées, jeux de tampons, appels téléphoniques...), payés le mieux possible, quitte à nous faire des remarques sur l'état de cette paye tant attendue, et nous demander des justificatifs précis sur plusieurs années.
Cette situation, à l'origine, était liée à la peur parfois justifiée des propriétaires de ne plus être payés, de voir leurs biens dégradés, de se retrouver, car la législation française est protectrice à leur égard, avec des locataires impossibles à renvoyer en cas de défaut de payement.
Certes.
Mais l'immobilier est devenu un jeu financier comme un autre, et ce risque-là, même, est assurable : tu apprendras qu'avec l'assurance Garantie des Loyers Impayés, le propriétaire est protégé, et donc certain d'investir en toute sécurité. Cette heureuse procédure nécessite toutefois, comme tout contrat d'assurance, des conditions précises : l'employé en Contrat à Durée Déterminée (celui là si vanté par nos élites économiques) peut dormir dans sa voiture, il en est exclu. Le fonctionnaire, à la petite paye, soumis à l'obligation de ne candidater qu'aux loyers représentant un tiers de son salaire, sera cantonné aux fameux 8m carrés dont nous parlions plus haut (et la loi l'ayant prévu dans une optique égalisatrice, n'aura plus la possibilité de présenter des garants lui permettant pourtant de compenser cette déchéance personnelle dans laquelle on tient le service public). En revanche, pour les étudiants, seuls les garants feront foi, la loi s'assurant cette fois que les enfants de familles désheritées viennent partager le parking des employés en Contrat à Durée Déterminée.
Nous avons la chance à Paris, d'avoir le plus fort taux de création d'emplois de France, et un nombre de logements nettements insuffisants : l'Île-de-France est devenue la cité-dortoir nationale, et seuls les plus heureux d'entre nous auront leur tour à la loterie du logement. 
Conscients de leur chance, ils s'empressent d'y gravir les échelons, de rencontrer leur moitié (un apport financier supplémentaire!) et de décamper au plus vite en province, où le prix du mètre carré leur permettra d'envisager une extension de la structure familiale.
Je sais par le Guardian que c'est une situation que connaît Londres également : les travailleurs souffrant de mal-logement ou sans domicile y sont légion.
J'ai l'immense chance d'avoir pour barrière ce statut et cet emploi fixe qui sont les miens; sache cependant que chaque entretien avec un agent immobilier, chaque visite de réduit sale me fait mesurer à quel point pour cette ville, ma situation est médiocre. Cela me fait rougir de l'avouer, par égard pour la situation de tant d'autres habitants qui ont tout simplement cessé de chercher et se terrent dans l'abri que le hasard aura bien voulu leur donner, parfois très inconfortable, parfois très loin de leur lieu d'emploi, la spéculation rageuse de l'immobilier leur ôtant la possibilité d'être bien logé.
Dans sa configuration actuelle, Paris est une humiliation, la même qu'elle était à l'époque de Balzac, où il faut paraître et devenir, ou être brisé et partir. Au temps de Balzac, grisettes et petits employés occupaient les entresols et les mansardes. De nos jours, ils errent dans ses centres commerciaux, et vivent à 1h30 de RER.

vendredi 16 juin 2017

Et tout évolue tout le temps, imperceptiblement

Ma chère Aurélie,
il y a un certain temps que nous courons chacune de notre côté de la Manche, pour attraper les bribes d'aventures que le destin nous met entre les pattes ou que l'on a envie de voir advenir, et, qu'en conséquence, ce blog n'avance guère.
Et cependant, me voilà saisie de la vive envie de te donner des nouvelles, de t'écrire comment va la vie pour la femme sans plan prédéfini.

Parfois, au début de ta vie, tu es convaincu -la société te le dit, tes parents et/ou la télé te l'ont appris, que tu dois atteindre une sorte de stabilité magique, où tu as un bon métier, l'air docte et bien habillé, un conjoint régulier et une descendance en projet. Ou pas d'ailleurs pour ce dernier élément, mais l'essentiel est là : atteindre une sorte de plateau de réalisations qui fera de toi un adulte, construira ta fierté personnelle et celle de ton entourage, et rester là, tous abdos serrés, à tenir tes responsabilités.
Et quelque soit ta personnalité, tes goûts, tes talents, tu crois qu'il n'y a qu'un seul moule, qu'un seul sentier, et que cette façade obligatoire fera de toi un de ces arbres au tronc vide que l'on voit parfois en bord de forêt.
Cette croyance naïve -que la société te demande la négation de toi-même- est paralysante.

Heureusement, c'est une illusion.
Devenir passe par l'expérimentation de soi.
Si l'on accepte de se plonger dans ces choses dont on pressent qu'elles nous constituent,en dépit de tout et en dépit de l'avis des tiers, si l'on accepte de regarder ses propres imperfections et manquements, et si l'on accepte aussi ces moments de désespoir qui sont l'apanage de toute vraie aventure, peu à peu, on apprend à être, et à faire sans se trahir.
Nous avons tous des cartes différentes en main, il faut les connaître, les aimer justement, et les utiliser au mieux.

Voilà, ma chère Aurélie, à quoi je m'occupe avec constance, et le chemin ressemble plutôt à un Derrick réalisé par David Lynch, mais qu'importe, on avance quand même.
J'ai saisi les deux cartes les plus chères à mon coeur du monde : la littérature et les arts visuels.
Auparavant, j'étais une bécassine : ces deux disciplines étaient mes béquilles pour fuir le réél, mais j'en faisais un usage égoïste et décérébré, un usage qui ne célébrait rien et qui n'apprenait rien.
C'est en me plongeant le cou dans la consommation de livres et d'expositions, dans le dessin et une micro-amorce de photographie ; et en m'efforçant d'en tirer une pensée rédigée, que j'ai enfin compris les règles de la réception artistique, de la compréhension, et peu à peu, du jugement.
Il n'y a pas de fin à la joie d'entamer le long chemin de lecteur, le long chemin de regardeur, car avec chaque oeuvre découverte nous affinons notre goût, et nous apprenons le langage de l'art que nous aimons dans toutes ses dimensions. Pour certains, cette lente appropriation se concrétise ensuite par la réalisation d'une oeuvre, car il est normal de s'essayer à son tour, même (surtout!) en barbouilleur des dimanches, à l'utilisation des codes que l'on a enfin compris.
Cette amour passionné nous entraîne en des lieux que nous n'aurions jamais cru fréquenter, nous fait rencontrer des gens tout aussi passionnés, que nous nourrissons et qui nous nourrissent à leur tour, nous demande soudain des compétences que nous n'avions pas et que nous sommes trop heureux de développer, nous entraîne sur des chemins sur lesquels nous n'osions avancer.
Et, pour autant qu'elle puisse sembler futile, cette voie est non seulement légitime, mais absolument nécessaire, car elle donne une structure à tout le reste.

La poursuite de nos passions est une bouée de sauvetage, et une clé pour la vie, un de nos amis communs me l'avait déjà expliqué.
Ce n'est que maintenant que je conçois, émerveillée, à quel point il avait raison.


Alors que fais-je, ces temps-ci ?
Je nourris l'arbre.

vendredi 24 mars 2017

Par la fenêtre

Chère Laurence,

C'était un jeudi après-midi, il n'y a pas longtemps, j'étais au travail et j'ai regardé par la fenêtre. Dehors il faisait beau, l'arbre en face de mon bureau pavanait ses longues branches nues, la lumière chaleureuse le faisant se découper avec précision sur fond de ciel bleu et tout cela semblait comme un avant-goût de printemps.

Dans cet instant, à regarder par le fenêtre, je me suis soudain sentie frappée par une envie d'extérieur. J'ai eu envie de sortir, de faire des choses, de voir des gens. Comme j'étais coincée au travail, j'ai commandé un livre de jardinage en douce, comme une promesse faite à moi-même. Du jardinage ! Moi qui ai toujours été convaincue que je n'étais bonne qu'à tuer les plantes vertes ! Mais dans cet instant-là je me suis sentie pleine d'optimisme et de projets et je me suis dit que ce serait une bonne idée d'essayer quelque chose de simple, un petit plan de basilic ou des fleurs sans chichis sur mon balcon.

Ma commande faite je me suis de nouveau tournée vers cette fenêtre magnétique et c'est là que je m'en suis aperçue. Je me sentais comme moi-même. Tout simplement. Mais ce qui m'a choquée c'est de m'apercevoir que ça faisait bien longtemps que ça ne m'était pas arrivé.

C'est tellement étrange comme sensation. Jusque-là, j'étais incapable de voir. Mais dans cet instant-là c'est comme si le brouillard s'était levé d'un coup et que de nouveau le soleil éclairait ma route. J'avais oublié ce que c'était d'y voir clair - je ne m'étais pas aperçue de la densité des nuages, de l'opacité du monde, je m'y étais résignée sans me souvenir que ça n'avait pas toujours été ainsi. Qu'il avait été un temps où je pouvais tendre le bras devant mes yeux sans que ma main ne disparaisse dans l'immensité cotonneuse. Où je ne me sentais pas à la fois suffoquée par le monde et isolée de tout.

Mon brouillard, c'était comme une fatigue immense et insurmontable. Où je me demandais légitimement chaque matin comment j'allais faire pour survivre jusqu'au soir. Mon énergie étant minimale, je bloquais tout, je passais en mode "conservation d'énergie", je n'avais qu'une envie : rester chez moi et ne rien faire. Dormir. Essayer désespérément de recharger mes batteries à plat.

Tout, absolument tout me semblait un danger mortel, une atteinte a mes niveaux d'énergie, le potentiel coup fatal qui me laisserait épuisée pour toujours. Tout semblait hors de mon contrôle. J'étais désespérée.

Ainsi épuisée, j'étais incapable de faire des projets. D'avoir envie de faire des choses. D'avoir envie de voir des gens. Alors cette fenêtre d'espoir et d'optimisme... C'était comme si le monde s'ouvrait devant moi de nouveau.

Depuis ce jeudi-là j'ai fait des choses dont je me sentais tout à fait incapable il y a un mois seulement : j'ai invité des amis à déjeuner chez nous. Je me suis rendue au travail avec enthousiasme. Je suis sortie courir dans la fraîcheur du matin. J'ai acheté des places de théâtre. J'ai planté des graines.

Les langues de brouillard restent nombreuses et inattendues. Je suis tout à fait terrifiée à l'idée de me perdre de nouveau. D'oublier qui je suis et ce que j'aime et ceux que j'aime. Mais peut-être que cet été j'aurais des tomates.


jeudi 24 mars 2016

Et maintenant, un intermède genré

Hello chère Irish girl !
J'espère que tout va bien pour toi et que tu continue à faire des expériences intéressantes.
Je t'écris parce que je ne savais pas trop quoi faire de tout ce trop plein, et que je connais la justesse de tes avis. Et parce que ça me plaît de t'exposer cette réflexion personnelle -et assez gratuite, je l'avoue.
Aujourd'hui je discutais, et notamment de cet article du Figaro, quand mon interlocuteur m'a répondu ceci : "Tu sais, pour moi, les rôles traditionnels dans le couple c'est très important. Ma copine fait le ménage, et je porte les valises, ça fait des siècles que c'est comme ça, et c'est comme ça que le monde marche. De toute façon, les femmes sont bien moins libres depuis qu'elles travaillent, et on ne leur a permis de sortir du foyer que pour qu'elles deviennent des consommatrices également. Mais dans un couple qui fonctionne, la femme est toujours la maîtresse du foyer, et l'homme le chef de famille."
C'était un échange d'idées, et tu sais comme j'aime ce genre de discussion.

Mais là, il s'est produit comme un accroc.
La politesse (et les règles d'un débat intéressant) veulent que l'on réponde aux idées sur le même plan. Court-circuiter la discussion intellectuelle par une soudaine explosion d'émotion, ou un exemple trop personnel est indigne.
Alors que je sentais un truc frémir, j'ai pensé répondre que malheureusement, la relation de hiérarchie se fait toujours au détriment du plus faible, et que c'est une dangereuse porte ouverte aux abus.
Et ce qui est sorti est une formulation alambiquée faisant référence à mes expériences et mes exemples familiaux dans ce domaine, et au fait que je souhaitais que soit plus reconnu mon cerveau que mes facultés reproductrices. Le tout avec la voix tremblante d'une colère que je n'avais absolument pas prévue.

La conversation s'est arrêtée là pour d'autres raisons, mais m'a laissée stupéfaite.
Parce que visiblement, il y a dans ce sujet des points sensibles que je n'avais pas repéré.
Mais maintenant, je le vois, et il me permet de comprendre plein de choses.
Je vais donc te raconter en quelque mots à quel point le féminisme c'est compliqué pour moi.
Quelques trucs : je pense rarement à moi comme une fille. Pendant longtemps, je m'écrivais au neutre uniquement. Dès que l'on me décrit une tâche féminine, je sens une subtile poussée de mépris. Je n'aime pas la broderie, pas la pâtisserie, pas les histoires d'amour ou la fantasy. Et je préfère le catch, la science fiction et les romans d'aventure.
Pourtant, tu me connais : j'aime la déco, les fringues... Et oui. Et cette partie de moi, je la méprise aussi, à peu près autant que les filles trop "girly."
Tu peux le dire, et je le pense aussi : c'est formidable, tu es donc machiste, et tu fait du women-bashing toute seule, youpi !
Aaaah, oui. Quand on te dit qu'une femme ne peut pas jouer contre son propre camp, en voilà une superbe illustration...
D'où ça vient, ce bazar ? L'éducation traditionnaliste bien sûr : la petite moi a bien vu comment les choses se passaient, avec un chef de famille aux commandes, et inconsciemment, elle s'est extraite du gang des plus faibles, et elle les a rejetées. La société patriarcale méprise les femmes et les intérêts qu'on juge féminins, et inconsciemment, mon cerveau a donc décidé que tout ce qui était jugé féminin ne me concernait pas (et que je devais le rejeter verbalement, ou au moins exprimer mon désintérêt, dès que j'en avais l'occasion).
Toute jeune, je grimpais aux arbres et je prenais les valises des mains des garçons.
J'étais aussi bien décidée à ce que cette expérience déplaisante (être à la merci d'un bon vouloir masculin) ne m'arrive jamais.
Evidemment, la vie nous met toujours en face de ce que l'on fuit, et j'ai donc été quelques années une charmante fleur d'appartement, surveillant le gluten dans des plats parfaitement équilibrés, faisant les courses et le ménage tout en répondant mécaniquement des paroles encourageantes et positives. J'étais très malheureuse.
Pas uniquement parce que je devais faire le ménage, soyons d'accord : mais parce que c'était une relation abusive dans laquelle mes opinions n'avaient pas droit de cité, dont j'étais incapable de partir (Jean-Claude Kaufman le dit un peu bien) , et où les remarques humiliantes constantes me détruisaient. La répartition des tâches, ce n'était qu'un symptôme.

Depuis, renforcement négatif festif, je suis plus garçonne que jamais, plus féministe que jamais, et j'ai des petits éclats de colère dès que j'imagine une relation amoureuse.
J'étais déjà férocement territoriale avant, et me voilà sauvage, parce que retomber dans ce genre d'excès m'insupporterait, alors que je connais la gentille que je suis : incapable de dire non à ceux qui la broient.
Je peux vivre avec l'idée que je vais me méfier des relations amoureuses pour un bon moment encore.
Par contre, mépriser mes consœurs, ça non.
Donc, j'ai le plus grand respect pour les travaux manuels (et c'est grâce à une de mes collègues qui est si douée dans ce domaine), pour les femmes qui choisissent de vivre au foyer (et je ne les juge pas, je ne les juge pas), pour les bonnes cuisinières, pour celles qui aiment qu'on porte leurs valises et lisent des trucs romantiques. On ne sait pas si ces préférences sont complétement des trucs induits par la société ou si ça leur plaît vraiment, mais ce n'est pas grave, c'est aussi honorable que n'importe quelle autre activité.
Sauf que je ne peux pas encore faire ce genre de choses, parce que je suis toujours terrifiée à l'idée de me retrouver enchaînée encore une fois à mon rôle traditionnel.
J'essaye de me réconcilier avec cette partie là, mais ce n'est pas très facile. J'imagine que cela finira par venir.


PS : alors oui, on n'a pas parlé des allégations de mon interlocuteur, de la situation des familles mono-parentales, des inégalités de salaire, des femmes sifflées et moquées à l'Assemblée Nationale, du vote pour Hillary Clinton "parce que c'est une femme"... Mais il y a de très bons articles pour ça, partout. Et moi, je me sens mieux.

mercredi 17 février 2016

Ivor Novello

Chère Laurence,

Un court billet pour te faire part d'une découverte récente.

Suivant ma passion Hitchcokienne, j'ai regardé la semaine dernière The Lodger, le premier film véritablement hitchockien d'Alfred Hitchock.

C'est un muet jouant sur le thème de Jack L’Éventreur. Et dans le rôle titre, celui de l'étrange locataire au comportement suspicieux, il y a Ivor Novello.

Source
Je t'avoue que je suis complètement tombée en amour. Peu importe qu'il soit mort il y a plus de 50 ans...

Si tu veux jeter un oeil au film, il est en multiple versions sur YouTube (vu qu'il date de 1927, il est dans le domaine public). En voici une.


Et puis, ce cher Ivor était aussi compositeur. Tu peux entendre un peu de sa voix au début de cette chanson (de lui) :


Enjoy !

lundi 11 janvier 2016

Journaler avec une grille de questions

Chère Laurence,

L'année est à peine commencée mais je suis déjà fatiguée. Pourtant, je suis pleine de bonnes résolutions. Enfin, pas des résolutions à proprement parler. Comme tu le sais, chaque année, je choisis un mot. Et cette année sera "mindful".

Du coup, ma mindmap est pleine de bonnes idées comme "faire en sorte que j'ai suffisamment de temps toute seule pour recharger mes batteries", "better curate what I let enter my mind", "prendre le temps d'écrire chaque jour"...

Mais mes batteries ne sont pas bien hautes et j'ai l'impression qu'il me faudrait six mois de vacances pour les requinquer. Ce qui n'est pas prêt d'arriver.

Alors du coup, à la place, j'essaie de faire d'autres petites choses faciles pour prendre soin de mon cerveau. Comme ma nouvelle technique de journal. Elle est toujours en court d'affinage, mais je me suis dit que ça t'intéresserait sûrement.

Comme tu le sais, je suis une accro du journal. Il y a quelque mois, j'ai néanmoins arrêté de me servir de mon journal papier pour suivre tout ce que je fais au boulot (maintenant, je fais des tableaux Excel - ma deuxième passion - mais je te parlerais de ça une autrefois).

Mais 1/ je trouvais triste de ne plus écrire aussi souvent à la main et 2/ j'avais envie de formaliser un peu mieux ce que j'écrivais à propos de ma vie personnelle afin de vraiment me remettre à écrire tous les jours.

Du coup, je me suis renseignée, j'ai lu quelques articles sur d'autres techniques de journaling, et j'en suis venue à la technique suivante, que j'utilise depuis la fin décembre.


Ma grille de questions

Chaque soir, juste après le brossage de dents et juste avant d'aller me coucher, je remplis une petite grille que j'imprime religieusement chaque début de semaine.

Ça ressemble à ça.

La grille que j'utilise en ce moment... Mais je l'ajuste chaque semaine pour l'améliorer.

Dedans, j'écris un petit résumé de ce qui s'est passé dans la journée et je réponds à quelques questions :

  • What am I committed to do better tomorrow? (C'est en général quelque chose d'assez petit est faisable, comme par exemple "être à l'heure au boulot", ou "être vraiment à l'heure au boulot cette fois", ou "bon, ça suffit, cette fois je serais vraiment à l'heure !". Il semblerait que j'ai un problème chronique avec l'Overground près de chez moi...)
  • What did I learn? (Ce sera souvent quelque chose que j'ai lu dans La Recherche en prenant mon petit-déj', ou que j'ai lu dans un article de blog...)
  • I'm grateful for... (Parce que c'est bien de ne pas perdre de vue qu'on a quand même des vies cool, même quand on a passé la journée à se faire emmerder par des lecteurs qui ne savent pas lire une cote...)
En-dessous, j'ai des petits carrés pour suivre mes objectifs du moment : est-ce que j'ai écrit aujourd'hui ? Est-ce que j'ai eu des contacts avec des amis ? Est-ce que j'ai travaillé mon allemand sur DuoLingo ? Etc.

Enfin, parce que je voulais mettre un peu d'emphase sur mon mot de l'année, je me demande "How was I mindful today?" Et si ma journée n'était pas propice à la pleine conscience, je note à la place comment je compte être plus mindful le lendemain.

Voilà pour la grille. Mais ce n'est pas fini !


Un peu d'art dans un monde de brutes

Une autre chose que j'avais envie de faire, c'est de prendre plus souvent des photos, même si c'est juste avec mon téléphone, afin de documenter un peu plus ma vie.

Un exemple tiré de mon journal.
Du coup, chaque soir (ou le lendemain matin), j'essaie d'imprimer ma "photo du jour" et je la colle en-dessous de ma grille de question. Ou, s'il n'y a pas de photo ce jour-là, j'essaie de trouver autre chose : un ticket de cinéma, un bout de programme de théâtre, ...

J'agrémente le tout avec plein de masking tape, just because.

That was a really good day!
C'est pas grand chose, mais ça me fait un petit bout d'art journal tout de même, et pendant les quelques secondes où je découpe et je colle, ça fait un peu de silence dans ma tête et c'est bien.


Et l'écriture dans tout ça ?

Au final, jusque-là dans le processus, je n'ai pas écrit beaucoup. Mais un peu quand même. Et ce petit exercice me permet de garder la trace de mes journées passées.

Mais le mieux, c'est que, souvent, si je ne suis pas trop fatiguée, les questions de ma grille m'inspirent. Alors je continue à journaler pour de vrai sur les pages suivantes.

Du coup, j'écris plus. Même si je n'écris pas douze pages tous les jours, c'est quand même bien. Et ça fait parti de mon plan pour un 2016 plein de mindfulness.



lundi 11 mai 2015

Les élections britanniques pour les nulles

Chère Laurence,

Tu as sûrement vu les nouvelles. L'heure est grave. En voyant les sondages de sortie des urnes à 22 heures jeudi dernier, j'ai vaguement envisagé de me relocaliser à Édinbourg. Mais bon, ce serait un peu triste de quitter le navire si vite après y avoir embarqué. Ceci dit, si l'Écosse fait sécession, je reconsidèrerais ma position...

Bref, aujourd'hui, on va parler politique. Ça m'a pris un sacré moment avant de comprendre - en gros - comment fonctionne la scène politique britannique. Alors je voudrais te faire part de ce que j'ai pu démêler.

Les élections générales

Jeudi, donc, c'étaient les élections générales (#GE2015!!!). Ici, c'est un peu du deux en un : les parlementaires et les présidentielles du même coup. Les grands-bretons ont voté par petites zones géographiques (les "constituencies" - il y en a 650) pour élire leurs députés (les "MPs" pour "members of parliament", qui siègent dans la "House of Commons") un peu comme pour l'Assemblée Nationale chez nous.
C'est le leader du parti qui obtient la majorité (qui doit lui aussi avoir été élu dans son propre fief) qui devient premier ministre et constitue le gouvernement.

Le paysage politique

Avant d'aller plus loin, laisse moi te décrire le paysage politique britannique.

L'équivalent de l'UMP (en caricaturant), ce sont les conservateurs (ou Tories), menés par David Cameron.
Le Labour, c'est un peu l'équivalent du PS, en un peu moins à gauche. Il est mené par Ed Milliband.
Au centre, tu as un parti beaucoup plus petit, les LibDems (pour Liberal Democrats), menés par Nick Clegg.
À l'extrême droite, c'est l'UKIP avec Nigel Farrage, qui se concentre exclusivement sur la question de l'immigration et de la sortie de l'Europe. Leur image est un peu moins mauvaise que celle du FN. Et, de ce côté là de l'échiquier, tu as aussi le BNP (British National Party), mais il est encore plus petit.
Les verts (the Greens - comme tu l'auras deviné) ont pour leader une immigrée australienne, Natalie Bennett.

Enfin, comme le Royaume-Uni est une union, tu as des partis locaux. Sauf pour l'Angleterre, car comme tous les autres leaders sont anglais, il y a peu de doute quant au fait qu'ils défendront les intérêts spécifiques au pays.
Le plus important de ces partis "locaux", c'est le SNP (Scotland National Party), avec Nicola Sturgeon (nota bene : ici, Nicola est un prénom féminin).
Au Pays de Galles, tu as Plaid Cymru avec Leanne Wood.
Ces deux partis sont globalement plutôt à gauche.
Et il y a aussi un parti Nord Irlandais, plutôt à droite cette fois, mais on en a peu entendu parler pendant la campagne électorale.

À tout cela s'ajoute une foule de petits partis comme le "Cannabis is safer than alcohol party" (oui, oui, c'est vraiment leur nom).

Du coup, si tu as tout suivi, tous les leaders que j'ai nommés ont fait campagne comme pour nos présidentielles avec des débats télévisés et tout et tout. Sauf que les élections générales sont des élections parlementaires et que l'on vote pour les députés qui se présentent dans notre constituency.

Par exemple, même si j'aime beaucoup leur parti, je n'aurais pas pu voter pour le SNP car ils n'avaient des candidats qu'en Écosse (ce qui est un peu logique en même temps). (Et passons sur le fait que je n'ai pas voté du tout car il faut avoir la nationalité britannique pour pouvoir voter aux élections générales. Du coup... on verra pour la prochaine !)

Les élections de 2010

Maintenant, remontons à la précédente élection. 
En 2010, les Tories n'ont pas obtenu la majorité absolue (au moins 326 sièges) au parlement. Ils ont donc dû s'allier aux LibDems pour constituer un gouvernement de coalition. C'est comme ça qu'on a obtenu David Cameron en premier ministre et Nick Clegg en vice-premier ministre. Je te laisse jeter un oeil aux chiffres.
Conservateurs : 307 sièges
Labour : 258
LibDems : 57
SNP : 6
Plaid Cymru : 3
Greens : 1
UKIP : 0
 (Je ne te mets pas tous les autres petits partis pour limiter la confusion... Mais tu peux voir tous les détails là.)

Et voici la carte issue de cette élection là (merci Wikipedia).
En bleu les Tories, en Rouge le Labour, en jaune un peu foncé le SNP, en jaune un peu plus clair les LibDems (oui oui, c'est bien pratique), et le mini point vert à Brighton, ce sont les Greens.
Comme on peut s'y attendre, ce mandat s'est soldé de fortes coupes budgétaires sur toutes les questions sociales (en particulier concernant le système de santé - le NHS). Et tu auras sûrement noté dans notre presse pro tous les appels à l'aide de bibliothèques publiques menacées de fermeture, voire définitivement fermées.
Mais cette coalition a aussi bénéficié d'une reprise économique qui a permis une réduction de la dette du pays.

L'an dernier, deux évènements politiques ont fait bouger les lignes.

Premièrement, les élections européennes ont vu une victoire terrible de l'UKIP (qui veut sortir de l'Europe...).
Deuxièmement, un référendum s'est tenu en Écosse sur la question de l'indépendance. Le vote était plutôt serré, mais l'indépendance à été rejetée.

Les élections de 2015

Bref, tout ceci était peut-être un long préambule, mais j'espère que ça va t'aider à mettre en perspective ce qui s'est passé jeudi dernier.

Les britanniques sont donc allés aux urnes. Et à 22 heures, à la fermeture des bureaux de votes, nous avons eu droit à de premières estimations (qui n'étaient pas tout à fait juste, mais c'est un autre débat). Ce n'est que vendredi dans l'après-midi que les derniers résultats officiels de la dernière constituency sont tombés (et oui, ça prend du temps de compter les bulletins...). 
Je t'épargne la narration de cette longue nuit électorale. Ce sont ces résultats officiels que je vais te présenter maintenant.
Tories : 331 sièges
Labour : 232
SNP : 56
LibDems : 8
Plaid Cymru : 3
Greens : 1
UKIP : 1
Encore une fois je ne mentionne pas les autres partis, alors si tu veux tous les détails, tu peux aller voir ici.

Cette fois-ci, les Tories ont la majorité absolue, ils vont donc pouvoir gouverner cinq années de plus, mais sans besoin de coalition cette fois.
En gros : ça va barder pour le NHS et les autres prestations sociales. On aura aussi droit à un référendum pour savoir si le Royaume-Uni veut rester dans l'Union Européenne, et les conditions de cette participation seront de toutes façons très certainement remises en cause.
C'est tout à fait exceptionnel de voir le parti sortant, avec la même tête de file, se trouver renforcé après cinq ans de pouvoir. Et franchement, personne ne s'y attendait. On pensait tous que les résultats seraient beaucoup plus serrés et qu'il y aurait un autre gouvernement de coalition - d'un bord ou de l'autre.

Mais le véritable coup de tonnerre vient d'ailleurs.

Le design est différent, mais la légende est la même que pour la carte ci-dessus.
Encore une fois, merci Wikipedia.
C'est l'Écosse qui a viré jaune. Et cette fois-ci, ce ne sont pas des LibDems.
Après les élections précédentes, les sièges écossais se répartissaient entre le Labour, les LibDems, et le SNP. Cette fois-ci, le SNP a récolté 56 des 59 sièges disponibles dans le pays. Du jamais vu.
Nicola Sturgeon a répété à mainte reprise qu'elle ne faisait pas campagne pour un nouveau référendum d'indépendance. D'ailleurs, rappelle toi, moins de 50% des écossais étaient pour.
Mais cette victoire démontre très certainement que les écossais (qui ont déjà énormément de pouvoir sur leur propre pays, comparé au Pays de Galles et à l'Irlande du Nord) veulent encore plus de pouvoir et d'indépendance.

Les écossais ont donc contribué au grignotage des parts du Labour. Mais même en mettant bout à bout les sièges obtenus par ces deux partis, ils n'auraient pas eu la majorité. Le Labour a perdu de nombreuses constituencies qui sont passées directement dans les mains des Tories. C'est une défaite électorale magistrale. En conséquence, Ed Milliband a démissionné de sa position de chef de parti.

Mais pas aussi magistrale que la défaite du LibDem. Ils sont passés de 57 à 8 sièges. Belle claque. Nick Clegg sort donc du gouvernement et démissionne lui aussi de la tête de son parti.

Enfin, les verts se maintiennent gentiment à Brighton.

Et l'UKIP a gagné un siège. Mais Farrage n'a pas réussi à entrer au parlement. Du coup, pouf, démission. (Enfin, juste pour l'été, avant les élections internes au parti. Faut pas pousser quand même.)

Bref...

L'avenir semble bien sombre pour qui se préoccupe de la protection des plus vulnérables et de l'équité sociale.
Tu peux t'attendre à me voir te relater mes prochaines manifs pour la défense du NHS, la fin de l'austérité, et pour dénoncer les conditions inhumaines dans lesquelles sont détenus les immigrés "illégaux", parqués dans des centres de détentions gérés par des entreprises privées, un peu partout au Royaume-Uni.
La routine habituelle quoi.

Et puis, qui sait, j'irais peut-être visiter l'Écosse, juste histoire de voir si l'herbe y est un peu plus verte... (Ou jaune. Ou rouge.)